Rien n’est manifestement plus faux que de prétendre distinguer, pour les rapprocher ou pour les distinguer, le crack boursier rampant de l’été 2011 de la double déflagration créée par l’effondrement des subprimes (été 2007) et la faillite de Lehman Brother (automne 2008). Il ne s’agit évidemment que de deux étapes d’une même crise globale, multidimensionnelle, non pas conjoncturelle, mais manifestement systémique. Entre les deux, on a assisté, à une vitesse exceptionnellement rapide, à l’échec du keynésianisme primaire, qui nous promettait un « green new deal », en se contentant de déplacer l’endettement, du secteur privé vers le secteur public, agrémenté de quelques investissements écologiques. Pire, ce déplacement du fardeau de la dette a permis la contre offensive du capitalisme financier contre les dépenses publiques et sociales, à partir de la supposée crise grecque, du printemps 2 010. La bêtise de cette contre-offensive apparaît maintenant, puisque le crack en cours repose principalement, sur la défiance à l’égard des banques, qui ont prêté aux Etats, lesquels s’étaient préalablement endettés pour leur venir en aide !!! D’où un processus de démoralisation générale, en fait de désocialisation, qui se développe très rapidement : non seulement, comme en 2007-2008 les banques ne se sont plus confiance les unes, les autres (comme on les comprend !), mais pire, les citoyens, déjà très sceptiques, finissent de perdre confiance dans les élites politiques et il est difficile de leur donner tort…
Fondamentalement, la nouvelle aggravation de la situation économique et sociale dans les pays développés, durant l’été 2011, marque l’entrée dans un second stade de la crise mondiale, qui avait éclaté 4 ans plus tôt. Ce nouveau stade est notamment caractérisé par les attaques spéculatives contre les dettes souveraines, particulièrement dans les pays d‘Europe du sud, et la mise en évidence d’une véritable dictature de la finance internationale qui règne désormais sur un nombre croissant de pays, dont la France.
Dans une première partie, nous proposons une analyse de cette situation nouvelle ; dans une seconde, nous esquissons une stratégie citoyenne alternative pour y faire face.
Première partie : le deuxième stade de la crise :
Pour bien comprendre ces nouveaux développements, il nous faut d’abord revenir sur la nature profonde de cette crise, déclenchée durant l’été 2007, et admettre l’imprédictibilité de son évolution ; ensuite, il nous faudra revenir sur la façon dont celle-ci a évoluer durant les 4 dernières années : banques et Etats n’ont cessé de se repasser la « patate chaude de la dette », avant de déboucher sur la mise en place d’une dictature financière, qui tend à imposer son règlement de la crise aux peuples, quitte à remplacer les gouvernants en place par des hommes de la finance internationale ou à leur imposer sa loi.
La nature de la crise contemporaine
Tout le monde admet aujourd’hui que nous sommes en crise. Encore faut-il s’entendre sur les mots. Il existe, depuis le XIXème siècle dans la littérature, notamment de référence marxiste deux sens du mot « crise » : l’une invoque la phase de paroxysme, de retournement à la baisse d’une évolution cyclique qui heurte violemment les vies et les consciences du plus grand nombre, mais elle débouche le plus souvent sur un quasi-retour à la situation antérieure, sans remettre en cause le système de régulation antérieure : ainsi, dans le domaine médical, en est-il le plus souvent, d’une crise de foie ou d’une crise d’asthme ; et, en économie, il en va de même des crises conjoncturelles, qui se reproduisent en moyenne tous les 5 à 10 ans, suivant le plus souvent le rythme très instable d’accumulation du capital. L’autre type de crise est tout à fait différent : il renvoie à la mutation du système de régulation jusque là dominant à travers un processus long, difficile à cerner, souvent cahotique et dont l’issue irréversible est l’émergence d’un nouveau système, meilleur ou pire que le précédent, en tous les cas qualitativement différent de celui qui prédominait jusqu’alors : autrement dit, une de ces bifurcations où l’histoire choisit sa direction…
Le fait que « la crise de 1929 » ait justifié son nom des deux points de vue à la fois n’a fait qu’aggraver la confusion sémantique de deux usages aussi contradictoires du même mot. Or, avec d’autres modalités bien sûr, aucune crise systémique ne peut ressembler complètement à une autre, puisqu’il s’agit à chaque fois de l’épuisement d’un système différent, il en est de même de la crise contemporaine : certes, elle comporte ses phases d’aggravation conjoncturelle marquée, d’abord avec la récession 2008-2009, la plus grave depuis 80 ans ; ensuite, avec la nouvelle récession, reconnue depuis cette semaine seulement par l’OCDE pour cet hiver 2011-2012, et qui sera, comme toujours, plus profonde et plus longue que ce qu’on nous en dit pour l’instant. Mais bien, plus grave, ces fluctuations de l’activité s’inscrivent dans une période longue de dépression, dont on n’est pas sorti depuis déjà 4 ans, et qui fait maintenant déjà parler de « décennie perdue », même si personne ne peut sérieusement en prévoir ni la durée, ni la gravité, ni encore moins l’issue. C’est que l’on est aujourd’hui bien obligé d’admettre, bien au-delà des seuls rangs altermondialistes, le caractère systémique de la crise contemporaine. Encore reste t’il à préciser ce qu’on entend par là et, d’abord de quel système on parle : la crise contemporaine est-elle celle du seul système économique et financier, qu’on pourrait analyser isolément des autres dimensions de la vie collective, ces dernières étant préservées ou, du moins, subordonnées, sans possibilité d’influence en retour, si bien que l’on pourrait s’en tenir à la seule analyse économique et en faire un sujet pour les seuls économistes ? Ou bien vise t’on plus globalement un système, comportant toutes les dimensions de la vie en société ?
Même si l’économisme a encore la vie dure, aussi bien chez les néo-libéraux que chez les archéo-marxistes, il existe désormais un assez large consensus pour ne pas se cantonner à l’économie et à reconnaître le caractère multi-dimensionnel de la crise contemporaine : celle-ci est, de façon de plus en plus évidente, tout à la fois économique et financière, sociale, écologique, politique et géopolitique, d’où une crise morale et des valeurs, conséquente à toutes les précédentes…. On finit ainsi par parler de crise globale ou de civilisation. Toutefois, à partir de là, les différents analystes n’accordent pas la même pondération à ces différentes dimensions, et ceci peut les conduire à des appréciations assez différentes sur les perspectives à venir et les issues possibles et souhaitables.
En effet, chacune des crises spécifiques à un sous-système particulier traduit des contradictions bien spécifiques et possède, par conséquent sa propre temporalité : il s’en suit que son degré de mûrissement, et donc d’urgence, n’est pas initialement le même, tant du moins que la crise de chaque sous-système n’entre pas trop fortement en résonance avec les autres et c’est précisément ce qui se produit depuis quelques années.
Il s’en suit que nous en sommes à une formidable bifurcation de l’histoire de l’humanité, sans doute la plus importante depuis la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Pour simplifier une réalité d’une redoutable complexité, pleine de contradictions dans tous domaines, on reprendra les 5 dimensions principales énumérées ci-dessus, mais il va sans dire que l’on pourrait aussi bien utiliser une typologie plus restreinte ou, au contraire, plus large, ne serait ce qu’en regroupant ou en subdivisant certaines des dimensions retenues :
* La crise économique et financière est d’abord celle de l’économie d’endettement : cette dernière est née, il y a environ 30 ans, dans un contexte d’érosion du leadership américain et de chocs pétroliers. Cette économie d’endettement a été le corollaire du triomphe de ce qu’on a appelé, de façon à notre sens ambigu, le « néo-libéralisme » : on entend par là la libération sans règle des mouvements de marchandises et de capitaux, par delà les frontières nationales ou continentales (dans le cas d’unions douanières comme la Communauté européenne d’origine), entreprise dès les années 1970. L’ensemble de ce processus de dérégulation a débouché sur une forme de mondialisation bien particulière : sans règle ; autrement dit, pour les plus puissants, sans foi, ni loi. Nous sommes en présence d’une crise économique plus profonde que celle liée au seul sur-endettement : elle vise au-delà de ses aspects financiers et remet en question l’absence de contrôle des mouvements de capitaux et de marchandises. Aller encore au-delà dans la remise en question du sous système économique et financier actuel, en considérant que la rupture actuelle atteint définitivement toute forme de capitalisme, et constituant ainsi la crise finale de ce dernier, est une question qui demeure ouverte, d’autant plus qu’elle est récurrente… depuis les années 1850 (cf. la correspondance de K. Marx de cette époque) : nous avouons notre incapacité à y répondre, d’autant plus qu’au-delà des mots, aucun autre système de substitution ne bénéficie d’une très large audience…
* La crise sociale est celle de l’inégalité croissante des revenus et surtout des patrimoines. Elle se manifeste par une incontestable paupérisation relative et une précarisation du plus grand nombre. Dans les pays anciennement développés , ceci nous ramène en 30 ans, à gommer 60 ans de conquêtes sociales et à retrouver une situation objective néo-marxienne en termes d’antagonismes, si ce n’est de luttes, de classes. Sans doute, les frontières sociales ne sont plus exactement celles du XIXème ou même du XXème siècle : d’un côté, il faut distinguer de 90 à 99% des salariés, qui vivent essentiellement de la location de leurs force de travail, alors qu’1% perçoit principalement les profits de leur capital financier, intellectuel et/ou relationnel (pour reprendre la célèbre analyse de P. Bourdieu) ; de l’autre, il faut observer la part de plus en plus restreinte des profits des entreprises, surtout petites et moyennes, qui pourraient servir à financer de nouveaux investissements productifs, au bénéfice des dividendes (dont la part en France est passée de 3 à 8% de la valeur ajoutée depuis 1977) et autres profits financiers, qui fournissent la base de toutes les spéculations ;
* La crise écologique est celle engendrée par un développement insoutenable. Ceci est reconnu par la presque totalité des communautés scientifiques, même s’il existe quelques « négationnistes, qui se recrutent généralement en dehors des disciplines compétentes ? Ceci est d’ailleurs par une fraction grandissante des opinions publiques, même si chacun d’entre nous a encore du mal à en tirer toutes les conséquences dans l’ensemble de nos comportements. Cet aspect insoutenable du développement centré sur la croissance du seul PIB, c’est-à-dire des seules valeurs marchandes, s’observe dans un nombre croissant et impressionnant de domaines : pour ne citer que les plus évidents :
– le réchauffement du climat,qui atteindra au moins 2 degrés, entraînant la multiplication des catastrophes climatiques malgré tous les avertissements ; Mais avec l’échec vraisemblable de la la conférence de Durban, après celle de Copenhague, nous sommes collectivement menacés d’une augmentation de 6 degrés, au-delà desquels la situation deviendrait probablement incontrôlable ;
– l’épuisement des matières premières et l’épuisement d’autres ressources vitales, telles que l’eau ;
– la pollution grandissante ;
– la perte de la bio-diversité qui s’accélère dramatiquement ;
– et, peut être encore plus, à court terme, une chute dramatique de la reproduction de l’ensemble des espèces vivantes, y compris la notre, sur notre planète.
C’est ainsi plus de deux siècles de productivisme, qui se trouve nécessairement remis en cause, l’idéal étant évidemment que la transformation de nos modes de production, de transport, de logement et de consommation s’effectue le plus rapidement possible et par une voie négociée, plutôt que trop tardivement et de manière brutale, imposée par de futures catastrophes et les angoisses collectives qu’elles ne manqueront pas de générer ;
– la crise géopolitique est celle de la perte d’hégémonie du monde anglo-saxon. Cette hégémonie est pourtant vieille d’un quart de millénaire : en 1752, la fin de la guerre de 7 ans avait assis durablement la domination anglaise sur le monde ; puis, la transition vers la domination nord-américaine, amorcé à la fin du XIXème siècle s’est effectuée ave un minimum de turbulences durant l’entre deux guerres, du fait de la proximité culturelle entre les deux pays et leurs élites. Mais la crise de cette hégémonie, il est vrai trop souvent annoncée prématurément dans le passé, est désormais illustrée aussi bien par les terribles échecs de Bush que par la « (Jimmy)-cartérisation » de B. Obamah. Ce que ni Napoléon Bonaparte, ni Bismarck, ni Staline ou Hitler n’ont réussi, s’impose progressivement du fait du rythme du rattrapage des pays émergents, en particulier asiatiques. Les conditions objectives d’antagonismes entre impérialismes déclinants et impérialismes émergents, aiguisées par les déplacements des mouvements de capitaux, se développent à un rythme accéléré, d’une façon qui rappelle dangereusement le début du siècle précédent. Là encore, il vaudrait mieux acter rapidement de manière concertée un nouvel équilibre mondial, au sens où on parlait au XVIIIème siècle d’équilibre européen : après tout, il ne s’agit que de rendre aux grands pays asiatiques, la place qui était la leur avant l’expansion coloniale de l’Occident. Mais ce rééquilibrage diplomatique est plus urgent qu’on ne le pense bien souvent, avant que des conflits devenus incontrôlables ne l’imposent : rappelons que nous nous sommes à l’ère des armes nucléaires, chimiques et, peut être pires, bactériologiques et de leur dissémination… Et d’ici là, un engrenage apocalyptique peut survenir à n’importe quel moment, presque n’importe où :
A la fin de 2011, le péril le plus imminent semble venir du Proche Orient : la volonté réitérée des dirigeants israéliens de frappe sur l’Iran « en première intention » concerne non pas un, mais deux pays dotés d’un armement nucléaire. Il y a sans doute une part de bluff dans leurs déclarations. Mais, l’agressivité israélienne, que manifeste la poursuite des constructions illégales de colons, n’est évidemment rendue possible que par la bienveillance des USA : mais qui peut garantir aujourd’hui que ceux-ci, de moins en moins maîtres de l’équilibre mondial, sont prêts à « mourir pour Jérusalem », alors que les Iraniens bénéficieraient en cas de conflit de l’appui, non seulement de l’ensemble du monde musulman, mais aussi du soutien des dirigeants russes et chinois ? Nous ne sommes plus en 1973, date de la dernière guerre israelo-arabe et il est urgent que l’ensemble des dirigeants mondiaux sorte de leur immobilisme coupable dans cette région du monde.
– La dimension politique de la crise est celle de la démocratie de délégation, vieille aussi de plus de deux siècles et de ses formes partidaires, un peu plus récentes, dont la primaire socialiste nous a donné récemment un intéressant palliatif… Nos démocraties sont de moins en moins représentatives (il faudrait une conférence entière pour le disséquer) et nulle part réellement participatives (participer à quoi précisément ? Si ce n’est à l’ensemble des étapes, qui scandent le processus continu de décisions collectives). Dès lors, leurs formes anciennes s’usent. C’est d’autant plus paradoxal et regrettable, que les aspirations fondamentales aus libertés politiques et à la démocratie, sous sa forme pluraliste, s’universalisent progressivement, en Europe, en Amérique, en Asie, comme désormais dans le monde arabe. C’est qu’une démocratie réellement coopérative, où tous les citoyens pourraient œuvrer ensemble, avec les responsables élus au suffrage universel , à toutes les étapes des activités collectives, est encore à inventer.
Chacun de ces sous-systèmes et leur crise respective interfèrent évidemment avec celle des autres sous-systèmes. On se contentera d’en proposer les exemples les plus évidents :
– le premier se situe entre l’économique et le social : ce sont les dérégulations du « néo-libéralisme », s’appuyant sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui ont renforcé le pouvoir de marchandage des facteurs mobiles (capital financier, mais aussi culturel et relationnel) sur les facteurs fixes (travail moyennement ou peu qualifié et capital matériel), dans la répartition des fruits de la croissance. Le creusement des inégalités de revenus et encore plus de patrimoine en est la conséquence directe ; en retour, celles-ci bloquent la demande solvable des ménages et, au-delà, les investissements productifs qui devraient en découler. Dans ces conditions les entreprises n’ont trouvé depuis 30 ans des débouchés suffisants que par un recours de plus en plus démesuré à l’endettement, jusqu’au déclenchement de la crise actuelle.
Un deuxième exemple est l’interférence entre la libération des mouvements de capitaux et le basculement géo-politique en cours, qui nous ramène inexorablement à la montée des conflits entre les impérialismes déclinants (nord-américains et européens) et les impérialismes émergents (principalement asiatiques). Ces conflits inter-impérialistes sont inhérents aux périodes du capitalisme qui favorisent les mouvements internationaux de capitaux, comme ceux qui, il y a un siècle, précédèrent 1914. Nous venons de citer a crise actuelle entre Israël et l’Iran, mais c’est la présence eds USA et de la Russie, derrière, les deux proptagonistes apparent qui en constitue évidemment la dimension la plus dangereuse.
– L’exemple le plus actuel, sur lequel nous reviendrons plus longuement est celui qui voit la finance internationale dénaturer les démocraties d’Europe du sud, de la Grèce jusqu’à notre pays, visant à imposer ce qu’il faut bien appeler leur dictature, au sens premier du terme ;
– On pourrait encore développer un autre exemple des interférences entre les différentes dimensions de la crise globale, quand face à une crise sociale pérenne, on ne sait répondre à la désespérance sociale que par le développement de politiques intérieures autoritaires, de type néo-orwélienne ;
– ou encore quand les mouvements spéculatifs, notamment dans le domaine foncier s’accompagne du recul de l’état de droit, devant le crime organisé dans de nombreux pays, dont le nôtre ;
– ou encore dans le saccage de la planète, entraîné par les placements spéculatifs, sans foi, ni loi…
Il résulte de l’interaction dynamique entre les crises de ces différents sous-systèmes que l’évolution globale du système planétaire, sur ses différents continents, comporte de nombreuses non-linéarités. Celles-ci rendent caduques les vieilles habitudes de prévision par extrapolation, qui supposaient au moins implicitement que les principales évolutions étaient linéaires. Or, nous sommes évidemment dans un moment de l’histoire de notre planète qui relève d’une approche en termes de chaos : l’évolution n’en est pas moins déterministe, mais elle l’est aujourd’hui en des termes non prédictibles au-delà des prochains mois, et peut être même des prochaines semaines.
C’est pourquoi la compréhension de la nature profonde de la crise contemporaine que nous avons tenté d’esquisser est certes nécessaire. Mais elle est tout à fait insuffisante : il faut la compléter par une analyse de la dynamique suivant laquelle cette crise s’est développée depuis un peu plus de 4 ans.
Du déclenchement de la crise (2007) à la tentative de dictature financière (2011)
Bien entendu, une histoire précise des 4 premières années de la crise mondiale que nous venons de vivre demanderait bien plus de recul pour pouvoir être écrite de façon complètement pertinente. Mais il est toutefois indispensable d’en comprendre les ressors profonds au moins dans les domaines économiques, sociaux et politiques qui ont été les plus perturbés depuis 2007.
La « patate chaude de l’endettement » :
Le début de l’histoire n’est que trop connu : la « patate » n’est pas encore trop brûlante, et se repasse de banque en banque. Ainsi, l’insolvabilité des subprimes américains déclenche une formidable pandémie mondiale, les prêteurs initiaux ayant eu l’astuce diabolique de diluer leurs créances pourries, dans des mélanges variés d’autres créances, rendus attrayants par un taux de rendement financier plus élevé : c’est là une pratique normale de la finance (la « fameuse prime de risque »), à ceci près que les émetteurs de ces titres avaient su cacher que les risques de défaut n’avaient rien de normaux, mais qu’ils reposaient, au contraire, sur une probabilité énorme d’insolvabilité, compte tenu de la pauvreté de ceux à qui on avait promis l’impossible – la maison de leurs rêves -, alors même que leur pouvoir d’achat, stagnant et précaire, leur permettait difficilement de boucler leurs fins de mois. Tous les acheteurs des dits produits toxiques étaient-ils dupes, et donc victimes d’une formidable escroquerie ? Certains peut-être, mais sans doute pas la plupart d’entre eux : mais peu leur importait, car ils se dépêchaient de revendre ces titres « pourris », à nouveau remixés et évidemment un peu plus chers, à d’autres… Et ainsi de suite, jusqu’à ce que cette « titrisation » atteigne, à travers toute la planète, la plus grande partie des établissements financiers, qui, attirés par un profit rapide sur des produits de plus en plus complexes et incompréhensibles (de l’aveu même du sous-gouverneur de la Banque d’Angleterre, chargé de les superviser) ont accepté ces titres contaminés, comptant les revendre avec bénéfice avant que la hausse spéculative ne cesse… et ne s’inverse.
Car s’il est un adage connu de tous les banquiers, et d’ailleurs conforme au bon sens, c’est bien que « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». Pour les actifs financiers, c’est même plus grave que cela : dès lors qu’ils cessent de monter, ils commencent immédiatement à baisser et cela d’autant plus rapidement que certains avaient acheté « à découvert » dans l’espoir d’une poursuite de la hausse. Désormais, les anticipations se retournent : c’est celui qui vendra le plus vite qui limitera ses pertes, certains aggravant la situation en se mettant à jouer à la baisse avec l’argent qu’ils n’ont pas ! Changeons de métaphore : le château de cartes s’effondre, les plus fragiles tombent en faillite, entraînant leurs créanciers et parmi eux un nombre croisant d’épargnants de tout type, gros et petits. Nous sommes au bord de la panique, un nouveau 1929 ? Heureusement non, pas encore, car au moins une leçon a été tirée de l’expérience… et des livres de cet économiste anglais Keynes, haï des banquiers libéraux, parce qu’il réclamait l’intervention de l’Etat. La réponse immédiate, la plus simple, est de repasser la « patate » désormais brûlante des dettes toxiques des banques aux Etats. Et ces derniers se dépêchent de prêter aux banquiers au bord de la faillite, afin disent-ils de sauver leurs clients ; des gouvernements de gauche ou de droite nationalisent quelques établissements au Royaume Uni, en Allemagne. Pour ceux qui hésitaient encore, la dernière bêtise de Georges Bush qui laisse tomber Lehman Brothers à l’automne 2008 sert de leçon : tout plutôt que des faillites bancaires en chaîne ! Grâce aux interventions des Etats, on a donc évité 1929, du moins jusqu’ici. Car, dans la panique, les Etats ont « oublié » de demander des contreparties à ceux qui avaient depuis une décennie au moins privatisé leurs bénéfices, mais dont on venait de nationaliser les pertes ! Tout au plus, avons-nous eu le droit à Toulon en 2008 à un discours de N. Sarkozy sur sa détermination à « moraliser le capitalisme ». Je ne vous le rappelle pas, c’est le même qu’il a prononcé le mois dernier à Cannes : simplement au lieu des 5 paradis fiscaux désignés en 2008, nous avons appris qu’il y en avait désormais 11 ! Pendant ce temps, en effet, les banquiers avaient recommencé à s’auto-attribuer des dividendes, des primes, des parachutes dorés, sans doute pour se consoler d’avoir eu très peur, il y a peu. C’est ainsi que pour éviter un plus grand désastre, tous les Etats, même les plus vertueux se sont doublement endettés : d’une part, en accordant des prêts ou des avantages fiscaux exorbitants aux financiers et plus largement aux grandes fortunes (en France, notre valeureux bouclier fiscal, finalement abandonné) ; d’autre part, par le manque de rentrée fiscale due à la plus forte récession connue depuis les années 1930.
Il en ait résulté une forte montée de l’endettement public dans tous les pays, ce qui a conduit à l’émission d’obligations d’Etat. Celles-ci, dans un premier temps (jusqu’en 2009), ont été normalement souscrites par les banques, soucieuses d’effectuer des placements jugés moins risqués que ceux des autres actifs achetés durant la période antérieure. Mais voici qu’alertés par les agences de notation auxquelles les grands Etats avaient maintenu leurs privilèges, malgré leurs errements précédents (erreurs grossières d’analyse et conflits d’intérêt), les spéculateurs se mirent à douter de la soutenabilité des dettes publiques, il est vrai en croissance rapide. Dans la plupart des régions du monde (aux USA, privés de leur triple A, et au Japon, avec plus de 200% de dette publique par rapport au PIB), cela est pourtant resté jusqu’ici sans conséquence. La Banque centrale prête à l’Etat, comme à tous les autres agents, au taux courant, lequel est nul ou peu s’en faut, ce qui rend soutenable la charge globale de la dette.
Mais il en va tout autrement dans la zone euro, où par une aberration de la doctrine monétariste imposée par l’Allemagne, la BCE est censée ne pas prêter directement aux Etats membres de la zone. Ceux-ci doivent donc passer par les fourches caudines des spéculateurs, qui n’hésitent pas à pratiquer des taux de type usuraire, qui rendent de plus en plus incertain tout espoir de remboursement. Arrivé à ce stade, au milieu de 2010, une partie des grandes banques européennes souhaitèrent ainsi se désengager de leurs créances sur la Grèce… ce qui aurait précipité la faillite de l’Etat et la contagion progressive aux autres pays européens. C’est pourquoi, les dirigeants politiques des grands pays, notamment la France, interdirent à leurs banquiers de revendre les obligations grecques et d’autres pays en difficulté manifeste de financement : c’était repasser la patate chaude, de plus en plus brûlante, entre les mains désormais tremblantes des grandes banques. Ceci justifiait alors de leur part, et des autres prêteurs spéculateurs, une nouvelle augmentation des taux d’intérêt, au nom de l’augmentation de leur prime de risque ! Et, de fait, le récent accord de défaut de paiement sur la Grèce (27 octobre 2011) fait perdre à ces banques 50% de la valeur de leurs créances sur ce pays, dont il faut toutefois déduire tous les prêts usuraires qu’elles lui avaient consenties jusque là.
Ainsi, depuis plus de 18 mois, le refus allemand d’une solidarité suffisante envers les pays du sud, a rendu auto-réalisatrices toutes les spéculations contre eux. Il faut rappeler qu’il s’agit des pays dont l’Allemagne refusait dans les années 1990 l’entrée dans la zone euro en les désignant comme pays du Club Med, aujourd’hui encore moins aimablement traités de PIGS (pour Portugal, Italy Greece et Spain). De même les menaces de sortie de la zone euro proférée contre la Grèce en violation de tous les traités (qui ne prévoient rien de tel et même l’interdisent à tous les membres de l’Union européenne) sont évidemment plus graves que le dépassement de ratios d’endettement rendus intenables par les taux imposés. Ainsi réapparaissent les germes d’une xénophobie latine et de son corollaire germanophobe, pour la troisième fois en un siècle : il ne faut pas hésiter à dire que cet aspect « bismarkien » de la crise européenne est peut être plus préoccupant que les questions financières qui en sont la cause apparente. Toujours est-il que la solidarité européenne la plus élémentaire qui aurait du permettre de surmonter ce qui n’était qu’une difficulté périphérique, eu égard aux faibles montants en jeu, a fait de la zone euro, sous la férule de la Merkozy , le maillon faible de la mondialisation financière. Pour chiffrer la carence de la BCE, à l’égard de l’endettement public un seul indicateur suffira : le portefeuille de titres publics détenus par la Banque du Japon représente, cette année, près de 18% du PIB ; celui de la Banque d’Angleterre, plus de 13% ; celui de la Fed américaine, près de 11% ; celui de la BCE, moins de 2% !!!
Certes, les autres zones anciennement développées ne se portent guère mieux à commencer par les USA. Ceux-ci sont enkystés dans la politique centriste, à défaut d’être consensuelle, adoptée dès son élection, par B. Obamah, qui a confié la politique économique de son pays à un secrétaire d’Etat T. Geithner, ancien président de banque. Il est vrai que c’est Wall Street qui finance la plus grande partie de ses campagnes électorales : personne ne peut donc plus en attendre une initiative importante, ni en politique intérieure, ni en politique étrangère, du moins dans l’année qui vient, avant les prochaines élections, qui s’annoncent très incetaines. C’est pourquoi, au sommet du G 20 de Cannes, Sarkozy pouvait bien réclamer une taxe sur les transactions financières, il était assuré du veto anglo-saxon. Plus que tout autre, ce sommet « sous présidence française », se révélait être le sommet d’une double soumission : soumission aux grands spéculateurs internationaux ; soumission àl’aveugle politique monétariste allemande, qui entraînera l’Europe et son propre pays dans la catastrophe désormais annoncée.
Car, dans les pays de la zone euro, et en particulier, dans le nôtre, c’est une mutation politique de première importance qui s’opère ces jours ci, quand le 1er ministre se targue de présenter le plan de rigueur le plus sévère depuis 1945, avec pour seul argument, celui de garder le triple A, c’est-à-dire d’obtenir le satisfecit des trois agences de notation ! Et depuis les premiers discours électoraux du président, explicite la détermination d’entraîner notre pays dans cette course folle.
Emergence d’une dictature financière
Depuis quelques jours en effet, devient clair ce que certains analystes subodoraient depuis le début de la spéculation contre les dettes souveraines d’Etat de la zone euro. Il y a une incompatibilité fondamentale entre la démocratie politique et la spéculation financière internationale. En particulier, tous les observateurs observent que le temps des décisions se compte en semaines et en mois pour l’une, en minutes et en heures pour l’autre. Nécessairement, l’une doit se subordonner à l’autre. Pour le moment, malgré le protestations populaires, c’est la démocratie qui doit s’incliner devant la spéculation : c’est ainsi qu’en 10 mois, 5 gouvernements de la zone euro ont dû démissionner ! Les premiers, les Gouvernements et Parlements de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne ont du accepter, les dictats des financiers internationaux, pour l’essentiel des mesures de régression sociale, avant de démissionner. Ceci a permis d’organiser des élections, gagnées par leurs adversaires, avec à leur tête ou à un poste clé de responsabilité, des financiers, anciens des grandes banques spéculatives. Dans le même temps, la BCE a remplacé l’archaïque J. Cl. Trichet là aussi, par Mario Draghi, un italien, d’abord pressenti pour remplacer Berlusconi comme 1er Ministre et qui était naguère un des principaux responsables de Goldman Sachs ! Ces nouveaux responsables politico-financiers se sont évidemment bien gardés de revenir sur aucune de mesures impopulaires imposées par d’improbables « troïkas » (hauts fonctionnaires européens, BCE et FMI), manifestement illégitimes pour trancher à la place des peuples, voire contre la volonté des peuples.
Ce processus de délégitimation démocratique, jusque là insidieux, est venu en pleine lumière avec les cas de la Grèce et maintenant de l’Italie, du fait en partie de la personnalité de chefs de gouvernement, certes bien différents l’un de l’autre , mais situés dans le même moment au cœur de la contradiction posée par le changement de légitimité politique : d’une démocratie, certes très imparfaite, à une dictature financière sans état d’âmes. Dans les deux cas, les mesures anti-sociales imposées par la Merkozy et ses fonctionnaires anonymes seront sans doute adoptées, et de nouvelles équipes menées par des financiers, qui ont tous eu des responsabilités dans le déclenchement et l’aggravation de la crise actuelle vont se trouver au pouvoir, reprenant avec délectation le slogan fétiche de Margaret Thatcher : There Is No Alternative, en bon français, « circuler il n’y a rien à voir » ! En clair, pour satisfaire les spéculateurs financiers anonymes, mais représentés médiatiquement par les trois agences de notation, partout, la course à l’échalote vers plus de rigueur va se poursuivre ou s’accélérer, ce qui entraîne déjà l’Europe dans une nouvelle récession, laquelle creusera un peu plus les déficits et justifiera de nouvelles mesures anti-sociales : en France, le plan de cette semaine, basée sur une hypothèse de croissance de 1% est déjà caduc, puisque l’OCDE reconnaît déjà que la plupart des pays d’Europe, dont le nôtre, sont entrés en récession, c’est-à-dire une croissance négative. De plus, tous les calculs montrent qu’une décision de réduction des déficits publics, n’a finalement qu’une efficacité de 30%, compte tenu du ralentissement de l’activité et des rentrées fiscales qu’il engendre.
Sur le plan géopolitique, cette nouvelle situation est grosse d’une désagrégation européenne entre le nord et le sud du continent, dans laquelle notre pays sera lui-même écartelé par sa double appartenance, géographique et culturelle, à ces deux sous-ensembles, en voie de déchirement.
Mais nous l’avons montré plus haut, l’avenir demeure imprédictible : ainsi, gérer la crise grecque n’est qu’une petite chose à l’échelle continentale. Mais, dès lors que le nouveau Moloch continue de dévorer ses propres enfants et que la spéculation continue de se déchaîner contre l’Italie , obligée d’emprunter à 7% et plus, avec une croissance nulle, voire bientôt négative, et un volume de dette cinq fois plus élevé que celui de la Grèce, la situation devient définitivement ingérable : la nouvelle orthodoxie ne pourra pas résister au grand vent de l’histoire : déjà les accords de stabilisation financière, annoncée avec grand fracas il y a quelques semaines, sont caducs, puisqu’ils supposeraient que la France vienne au secours des autres pays, alors qu’elle est, elle-même désormais menacée.
Pour autant,, ne tombons pas dans la paranoïa : il n’y a pas une nouvelle « coupole » capable de diriger le monde de façon centralisée et encore moins rationnelle : d’après les dernièes études internationales, ils sont un peu moins de 150 (147 exactement) : ils contrôlent à eux tous plus de 20 000 des grandes firmes multinationales ! Parmi eux, les ¾ sont des banquiers qui détiennent de ce fait les rênes du pouvoir mondial. Or, malgré cette concentration croissante, chacun de ces spéculateurs, actifs ou potentiels, internationaux n’a en vue que sa propre recherche de maximisation des profits, si bien que les contradictions entre eux sont innombrables. Vivant dans leur monde à part, nul ne sait, eux moins que quiconque, ce qui surgira demain dans l’ordre économique, géopolitique ou écologique. Enfin, partout dans le monde, se lève une nouvelle conscience citoyenne qui, à bout d’indignations, revendique le retour à la démocratie, une politique sociale et environnementale responsable, et commence à faire siennes les solutions alternatives, qui contrairement au discours dominant, ne manquent pas.
C’est à l’esquisse d’une telle stratégie citoyenne que nous consacrerons notre seconde partie.
Deuxième partie : Quelle stratégie citoyenne face à l’aggravation de la crise et à la dictature financière ?
Les altermondialistes ont mieux que d’autres pressenti et analysé cette crise systémique, et, à juste titre, ils n’ont cessé de dénoncer la libéralisation sans règle des mouvements de capitaux et de marchandises . Mais ils n’ont probablement pas assez mis en avant la dimension géo-politique du système prévalant depuis une trentaine d’années et qui est en train d’exploser sous nos yeux. Non qu’ils l’aient ignoré, mais ils ont répugné, sans doute du fait de vieilles réminiscences idéologiques, à lui donner sa véritable caractérisation de néo-impérialisme.
Ecrire cela, ce n’est pas choisir un slogan facile, ni même adhérer à un courant idéologique ou encore moins politique particulier : le concept est né d’auteurs politiquement aussi différents qu’Hobson (1902), sans doute son initiateur, Hilferding (1910), R. Luxembourg (1913), Kautski (1914), Boukharine (1915) et enfin, Lénine (1916) . Si la conception de ce dernier a été la plus répandue, à travers les succès politiques de la IIIème Internationale, on peut constater sa conception erronée, dès le rappel du titre de son livre : « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Or, avec un siècle de recul, on constate qu’il ne s’agit pas d’un « stade suprême », comme le donnait à penser une vision linéaire et mécaniste de l’histoire. Il s’agit, plus dialectiquement, d’une caractérisation particulière qui naît de l’internationalisation sans règle des mouvements de capitaux (comme l’avaient bien vu ses prédécesseurs). Mais le capital financier représente alors un pouvoir exporté au sein d’autres peuples, ce qui ne peut que déclencher des conflits géo-politiques et politiques internes, dont les années 1910 nous ont offert la cruelle manifestation. Ainsi, le capitalisme au lendemain des deux guerres mondiales perd provisoirement son caractère impérialiste, non pas seulement parce que s’est réalisé une paix par la destruction et la capitulation de l’un ou l’autre des belligérants, mais parce que les mouvements internationaux de capitaux sont alors, pour un temps, strictement contrôlés. Mais ce caractère impérialiste se retrouve progressivement depuis les années 1980 dans des conditions beaucoup plus dangereuses encore, avec la multiplication et la diffusion des armes de dissuasion massive (non seulement nucléaires, mais aussi chimiques et surtout bactériologiques) et sous des modalités renouvelées, qui justifie le terme de néo-impérialiste. La nouvelle étape de la crise, qui commence durant l’été 2011 va nécessairement fortement aggraver ces contradictions et, de ce fait, ces risques de conflit, partout dans le monde.
C’est pourquoi l’urgence est de prendre conscience que l’aggravation brutale de cette crise systémique globale durant l’été 2011 rend caduques les stratégies gradualistes de transformation, héritières des anciens mots d’ordre de la social-démocratie de gauche et du réformisme révolutionnaire prôné à la fin des années 60. La désespérance sociale qui se développe aujourd’hui partout en Europe, dans le monde arabe, en Afrique et ailleurs dans le monde, ne peut plus, en effet, rester sans réponse immédiate et l’affirmation d’une stratégie alternative de rupture avec le système en voie de décomposition : sinon les tentations de l’extrême droite (la « chasse aux autres ») ou de la barbarie aveugle, de type anglais ou parfois africain, vont continuer à se répandre comme une traînée de poudre dans chaque pays et les affrontements entre voisins se multiplier.
Si les analyses proposées dans notre première partie sont correctes, au moins dans leurs grandes lignes, l’action citoyenne doit débattre des stratégies possibles pour y faire face et tenter d’en retenir une. Pour nous, nous insisterons sur sa nécessaire cohérence : il est, en effet nécessaire, pour entraîner l’adhésion du plus grand nombre, d’articuler d’une part un ensemble, non exhaustif, de mesures d’urgences, en particulier contre l’aggravation la plus immédiate de la crise, hic et nunc ; d’autre part, en inscrivant celles-ci dans des perspectives de moyen terme, à l’horizon des 5 ou 10 prochaines années, être capables de faire sens pour un nombre maximum de citoyens, à travers le monde.
Mesures d’urgence :
Les tentatives de rafistolage pratiquées depuis 4 ans (depuis le déclenchement de la crise des subprimes) ont démontré la contradiction insurmontable dans le système actuel, entre le contrôle de l’endettement (privé et public) et le soutien à l’activité productive et à l’emploi. Toutes les mesures proposées jusqu’ici par les autorités en place et parfois mises en œuvre ne peuvent améliorer l’un des deux termes qu’en aggravant l’autre terme de la contradiction, pour une raison évidente : le premier objectif ne peut que réduire une demande globale déjà trop faible, alors que le second terme requiert l’augmentation de cette même demande ! Des mesures d’urgence, monétaires, financières, légales et fiscales sont donc nécessaires dans le seul but d’éviter l’effondrement immédiat de l’activité et de l’emploi, et les poussées xénophobes et bellicistes, qui ne manqueraient pas de l’accompagner.
Il y a deux mois, c’est la Grèce qui risquait de tut emporter, mais en la sauvant au prix d’une décote bancaire de 50%, c’est tout à la fois ces banques et les pays voisins, à commencer par l’Italie, que l’on voyait immédiatement menacés. Pour les banques, dont la recapitalisation, quand ce n’est pas la mise sous tutelle, s’impose, il est possible que l’action conjuguée des grandes banques centrales mondiales, annoncées cette semaine dans la plus grande urgence car on n’était plus qu’à quelques jours, voire quelques heures d’un krach parviennent du moins pour un temps à conjurer le péril : ce erat la preuve que la mutualisation des garanties et, éventuellement, des pertes, permet la consolidation de l’édifice.
Ainsi, de semaines en semaines, pour ne pas dire de jours en jours, on ne fait que retarder les échéances ou déplacer les lieux d’un effondrement annoncé. A moins qu’évitant, par de prodigieuses habiletés, dignes de meilleures circonstances, on se contente pour l’instant de s’enfoncer pour une période indéfinie
1- Mesures monétaires d’urgence :
1.1 Monétisation des dettes publiques : Aujourd’hui, les banquiers peuvent emprunter à la BCE à 1,25% (0% à la Fed ou à la Banque du Japon et reprêter à 7% et d’avantage aux pays européens en difficulté. Pourquoi ces derniers doivent-ils passer par cet intermédiaire proprement scandaleux ? Parce que, dit-on doctement, on ne veut pas monétiser la dette ! Or, la monétisation des dettes des Etats souverains par les Banques centrales, si elle est poursuivie avec conséquence et pour des montants suffisants retire à très court terme tout intérêt à la spéculation contre ces monnaies. Dans ce domaine la BCE, qu n’a pas fait dans ce domaine dixième de ses homologues américaines et japonaises, doit être entraînée, notamment contre sa composante allemande, qui combat cette solution . Quant au risque inflationniste qui pourrait en découler, il n’a aucune actualité dans les pays développés, alors que la demande globale y est initialement trop faible pour assurer le plein emploi de la main d’œuvre et des capacités de production. Si on mesure l’inflation sous-jacente dans les principaux pays développés (c’est-à-dire en dehors du pétrole et de matières premières importés), c’est en réalité, comme dans les années 1930, la déflation qui est la principale menace, ce qui explique d’ailleurs les politiques monétaires beaucoup plus accommodantes que jamais pratiquées par les Banques centrales, notamment la Fed américaine et même la BCE, sans même parler de l’interventionnisme sans précédent des banques centrales britanniques, suisses et japonaises. Quant au risque d’inflation ultérieure, qui pourrait découler de ce gonflement de la masse monétaire, celle-ci serait particulièrement simple à juguler, car la politique monétaire est plus facilement réversible que les autres politiques conjoncturelles : l’argent qui arrive à la banque centrale pourra toujours être détruit ou gelé à volonté. Alternativement, on pourrait aussi juger qu’une hausse, même limitée, de l’ensemble des prix serait une contribution utile des créanciers au désendettement global, outre qu’il redonnerait à la politique monétaire une flexibilité qu’elle a perdu, comme l’explique clairement Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI : afin de maintenir une cohérence internationale, il suffirait alors, dans le moyen terme, de définir des objectifs d’inflation anticipée un peu plus élevés, au sein d’un nouveau FMI (cf.. infra).
En fait, l’annonce de ce changement drastique de la politique monétaire, en privant la spéculation de toute perspective de profit, suffirait à calmer les choses : le montant effectif des achats à effectuer serait logiquement très peu important.
1.2 Les pays de la zone euro doivent retrouver la maîtrise de leur politique de change. Il est intolérable qu’en violation du Trait de Maastricht, ils aient abandonné cette fonction souveraine à la BCE, qui ne devrait d’après les textes qu’être chargé d’exécuter la décision collégiale des Ministres des finances concernés. Ce retour au droit existant, devrait conduire à des ventes massives d’euros, à l’instar des mesures appliquées par les banques centrales suisses ou du Japon. Plus largement, les dits Ministres devraient faire savoir que les interventions de la BCE doivent d’éviter une volatilité excessive des monnaies autour d’une valeur cible d’1 euro pour 1,2 dollar, proche de celle adoptée lors de la création de la monnaie européenne
1.3 Des mesures anti-spéculatives d’urgence s’imposent immédiatement pour réduire les risques de contagion vers d’autres pays ou d’autres types de produits. C’est pourquoi, l’interdiction générale et permanente des transactions (achats et ventes) à découvert, et plus largement des marchés de produits dérivés, ne ferait que généraliser les mesures timidement amorcées dès cette mi-août. On peut interdire la spéculation, comme on le faisait jusque dans les années 1970, et comme le font encore les pays émergents. Il suffit de comparer les résultats économiques globaux pour savoir de quel côté se trouve l’efficacité !
1.4 La création d’obligations publiques européennes (eurobonds) reviendrait à une mutualisation des dettes, ce qui se heurte pour l’instant à l’hostilité allemande (et accessoirement hollandaise, autrichienne et finlandaise). Il faut, à cet égard mener la bataille idéologique dans toute l’Europe et particulièrement dans les pays non solidaires, leur expliquer qu’à l’évidence il ne peut y avoir d’Europe monétaire, qui ne soit en même temps financière, et que rien n’est plus absurde que de se proposer en modèle, quand on tire sa prospérité de ses excédents commerciaux, qui ne sont que la contrepartie comptable du déficit de partenaires, que l’on invite à faire de même… Mais, de l’autre côté, celui des pays demandeurs d’une telle solidarité, on ne peut pas nier que sa mise en œuvre pose la question du pouvoir légitime, qui la gouverne. La position originale d’un mouvement progressiste internationaliste ne peut être ni d’ignorer la question, ce qui bloque la situation, ni de la laisser aux seuls Etats créanciers (potentiels), ni à des instances européennes sans légitimité démocratique. En fait, l’audace dictée par l’urgence de la situation doit être de confier ce pouvoir au Parlement européen, élu au suffrage universel direct, même si dans sa composition actuelle il n’est pas spontanément demandeur d’une telle responsabilité… Mais, devant l’aggravation de la crise, des alliances ponctuelles pour adopter un tel dispositif sont ici tout à fait souhaitables et possibles.
2 – Mesures financières d’urgence :
La mise en place d’une taxe Tobin par les autorités européennes serait évidemment une excellente illustration des politiques d’alliances ponctuelles, préconisées à la fin de cette note, si de façon injustifiée, sa mise en application est retardée de 2 ans par les instances européennes , alors même que tous les tenants du capitalisme financier organisent déjà leur contre-attaque. Mais il faut certainement aller beaucoup plus loin (après tout son inventeur, James Tobin, n’était qu’un keynésien centriste, qui avait protesté de l’usage de son nom par le mouvement altermondialiste naissant) : d’abord en faisant pression pour que cette taxe soit fixée à un niveau dissuasif, à l’encontre des mouvements spéculatifs. Ensuite, en demandant son extension aux pays extérieurs à la zone, à commencer par le Royaume Uni et la Suisse.
Enfin, en ne se contentant pas d’agir ainsi sur le prix des transactions financières, mais en se donnant les moyens d’en contrôler les volumes, ce qui est généralement considéré comme plus efficace . Cela passerait par l’instauration d’un système de réserves obligatoires, sur tous les mouvements internationaux de capitaux de moins de deux ans. Le pourcentage de ces réserves serait indéterminé et pourrait être modifié à tout moment de manière discrétionnaire par les autorités politiques de chaque Etat ou zone monétaire. Il est bien évident que les praticiens de la hot money serait alors perpétuellement sous le coup de cette « bombe atomique » (le gel d’une partie de leurs capitaux), les amenant à limiter leurs opérations de court terme à celles strictement nécessaires sur le plan économique. Dès lors, il ne serait pas judicieux de les pénaliser d’avantage et une convention de fait s’établirait entre les agents financiers et ceux chargés de les contrôler.
Quant aux mouvements de capitaux à plus long terme (du type investissement directs à l’étranger), nous verrons dans les perspectives à moyen terme la nécessité de les encadrer sur une base multilatérale, afin de réduire les contradictions inter-impérialistes.
3 – Une urgence immédiate, la socialisation du crédit :
L’agenda de la dernière rentrée a été dominé par les évènements financiers en Europe, devenue le « maillon faible » du système mondial, non pour des raisons fondamentales (l’endettement public du Japon ou des est beaucoup plus élevé que celui de la Grèce ou de l’Italie, celui Etats-Unis que celui de l’Espagne ou de la France). Mais c’est l’incohérence de sa construction, qui permet aux spéculateurs internationaux, qui disposent de bien des alliés dans la place, de se déchaîner en toute impunité : la reconnaissance de l’insolvabilité grecque (pour 50% de son montant nominal, ce qui paraît un pourcentage minimal, qui dans les faits n’allègent le fardeau que d’un tiers) et sa traduction dans les bilans de l’ensemble des banques. Faute de s’être doté depuis 2008 des moyens anti-spéculatifs nécessaires – pour reprendre l’heureuse contre pétrie d’Eva Joly « on a changé le pansement, plutôt que penser le changement » -, nous risquons de connaître dans les prochains jours un nouveau déchaînement de spéculation, sans doute d’abord contre le Portugal et surtout l’Italie, en attendant d’autres pays de la zone euro, et peut être la France : les écarts de taux d’emprunt (spread) ne font qu’enfler et dans la moitié des pays, il existe déjà une décote de quelques 10% de l’ensemble des créances, même les meilleures.
Après la chute de Dexia, il a fallu reconnaître au niveau européen, que de nombreuses banques ne pourront pas résister à ces nouvelles et brutales dépréciations d’actifs, sans augmentation considérable de leur capital. Comme pour une bonne part d’entre elles, cette augmentation ne peut venir des financiers privés (lesquels seraient assez fous pour investir en ce moment dans les banques menacées de faillite, alors même qu’elles ne se prêtent même plus entre elles au jour le jour ?), c’est donc à nouveau l’argent public qui risque d’être massivement sollicité, comme en 2008 : l’argent du public, alors même qu’on le pressure déjà, à travers des cures d’austérité simultanées, dont le premier effet évident – regardez les chiffres grecs ou britanniques – déclenche une nouvelle chute de l’activité et donc une aggravation des déficits et de l’endettement publics que l’on prétend ainsi combattre !
Le fait que le crédit soit un bien public – ce qui est indéniable – ne justifie en rien la récurrence des mesures de soutien sans contrepartie aux établissements de crédit, qui ont permis de perpétuer les pratiques spéculatives, désormais déchaînées contre les Etats les plus faibles ! Une réaction massive de l’opinion doit donc se manifester dans les plus brefs délais. Il est urgent de populariser le slogan de la « socialisation du crédit », qui paraît faire consensus chez la plupart des économistes progressistes. Celle-ci devrait d’abord concerner tous les établissements faisant appel aux capitaux publics, avant qu’une loi ne vienne le généraliser dans les conditions propres à chaque pays.
Mais pour que cette idée, qui rompt avec la pratique déjà essayée en 2008 de nationalisation partielle et temporaire, s’impose et permette la mobilisation la plus large – sur ce sujet, on ne manquera pas d’alliés de circonstances -, il faut en préciser deux modalités essentielles, sans tomber dans une technicité, qui rebute évidemment le plus grand nombre :
– en premier lieu, la stricte séparation des activités commerciales et des activités spéculatives, sur le modèle réussi de Roosevelt, durant la Grande Dépression des années 1930 ;
– en second lieu, la mise en place auprès du directoire de la banque socialisée, d’un conseil de surveillance quadripartite , composée des représentants de l’Etat (avec une golden share, autrement dit, un droit de veto, puisque celui-ci est le garant ultime de son capital), les représentants élus des salariés de la banque, ceux des déposants et, enfin ceux des clients (ménages et entreprises). Les délibérations de ce conseil de surveillance auraient un caractère public.
On voit bien qu’il s’agit alors de créer une gouvernance innovante, visant à synthétiser les avantages de la banque nationalisée et de la banque coopérative, et qui justifie pleinement le terme d’établissement socialisé.
4 – Mesures budgétaires d’urgence :
Devant l’indécence de plus en criante due à la plus forte inégalité des fortunes et des revenus, depuis un siècle et qui ne cesse de se poursuivre, la nécessité d’une politique fiscale correctrice paraît d’autant plus urgente qu’elle constituerait un élément de relance, contribuant simultanément à la réduction de l’endettement public. L’évidence devient telle que quelques unes des plus grandes fortunes américaines ou françaises, de même que des hommes politiques de tout bord, en affirment la nécessité : ne boudons pas notre satisfaction et faisons seulement observer que certaines de nos solutions sont devenues si évidentes que même une partie des personnes visées s’en est aperçue !
Malgré cela, en France et en Europe, on prétend constitutionnaliser la rigueur croissante sous la forme d’une « règle d’or », qui serait censée garantir l’équilibre des finances publiques : absurdité économique, sociale et politique, qui prétend rendre intangible un équilibre budgétaire, qui est de toute éternité un instrument d’ajustement de court terme ! Quand de plus, la mesure est proposée par ceux, qui à coup de déductions et de niches, n’ont cessé de creuser ces déficits, on suggérerait que si une règle d’or devait être inscrite dans la constitution, elle soit ainsi libellée : la première règle du budget doit consister à faire exactement le contraire de ce qu’ont fait Sarkozy et ses amis depuis près de 10 ans !
Il s’agit, en effet, de mettre en place de manière pérenne une hausse massive des impôts sur les hauts revenus et grandes fortunes, en commençant par ce qui est évidemment le plus facile, la suppression de tous les privilèges qu leur ont été accordés depuis une dizaine d’années. Ces rentrées fiscales serviraient à financer un relèvement général des bas revenus, jusqu’au seuil de pauvreté, ces catégories sociales ayant par force une propension à consommer l’intégralité de leurs revenus supplémentaires. Ceci engendrerait des rentrées fiscales, dont une partie serait consacrée à des actions de développement durable et l’autre à amorcer le désendettement dans le cadre d’un plan à moyen terme : on demande bien aux Grecs de se serrer la ceinture jusqu’en 2 020.
On observera pour en finir avec la possibilité de faire adopter tout ou partie de ces mesures d’urgence que certains des gardiens les plus acharnés de l’ancienne orthodoxie dite néo-libérale et monétariste en viennent progressivement, sous l’empire de la nécessité, à préconiser, voire à mettre en œuvre quelques unes des mesures les plus audacieuses. Depuis longtemps, dans l’indifférence, ou sous les sarcasmes du plus grand nombre des bien-pensants. Jusque là, seule une minorité d’économistes hétérodoxes prônaient de telles mesures. Mais il faut absolument accepter et encourager ces nouveaux hommages, même tardifs, que le vice rend à la vertu…
Des perspectives pour l’action citoyenne :
Il nous faut, collectivement, des étoiles auxquelles accrocher notre charrue. Autrement dit, il nous faut donner du sens (c’est-à-dire à la fois une signification et une direction) à nos actions citoyennes journalières. Ceci ne relève plus, comme aux siècles précédents d’utopies, qui étaient comme autant de descriptions de futurs paradis sur terre. Par contre, il est possible de dessiner des perspectives crédibles dans quelques domaines fondamentaux, qui dessineront à l’horizon de la décennie un autre système global, dépassant les principales contradictions de la crise du système mondial actuel. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur d’innombrables travaux collectifs menés sur tous les continents et qui ont été largement discutés, avant même ou depuis le déclenchement de la crise contemporaine, à travers internet et de nombreux forums sociaux. Il est évidemment impossible d’en rendre ici un compte rendu complet, mais nous voudrions insister sur trois ou quatre des ces perspectives, le débat permettant éventuellement d’en approcher d’autres. Nous retiendrons donc d’abord« l’accès aux droits et l’impératif démocratique » ; ensuite, ce que pourrait être une nouvelle gouvernance mondiale ; puis, nous tenterons le même exercice pour la gouvernance européenne ; enfin, nous chercherons à définir ce qui pourrait être un nouveau paradigme des échanges internationaux, sous le terme de « fair trade », qui subordonne ceux-ci à l’adoption de régulations efficaces contre les 4 grandes formes de dumping : monétaire, fiscal, social et écologique.
L’égal accès pour tous aux droits fondamentaux
On se contentera d’indiquer que ceci concerne aussi bien les droits collectifs (ceux des peuples, y compris minoritaires, notamment) qu’individuels, tous les droits reconnus dans les Déclarations, depuis le XVIIIème siècle, que les droits nouveaux, qu’ils soient économiques, sociaux, culturels ou environnementaux : la nouvelle régulation mondiale proposée ci-dessous a pour premier objectif d’en assurer concrètement l’égal accès pour tous.
Pour une régulation mondiale légitime et efficace.
Face à la crise de la mondialisation, caractérisée par l’hégémonie US et l’accumulation financière, quelle issue ?
Celle-ci ne doit pas être le retour à un fractionnement du monde, évidemment lourd des pires conflits. Les drames humains, les urgences écologiques et les risques géo-militaires, nous le rappellent dramatiquement tous les jours : nous n’avons qu’une seule planète, dont nous sommes tous solidairement responsables. C’est pourquoi, l’altermondialisme n’est pas un anti-mondialisme, mais l’actualisation permanente du vieil internationalisme humaniste d’un Jean Jaurès : il en partage les valeurs fondamentales, mais il ne considère ni la nation, ni aucune autre sorte de souveraineté comme pertinente pour réguler l’emboîtage de communautés de vie et de destin, qui forment autant de communautés politiques différenciées, de la planète jusqu’au quartier et au village.
On ne peut espérer, à un horizon crédible, la mise en place d’un gouvernement planétaire, dont l’utopie humaniste est hors de portée, même si nous ne devons pas cesser de promouvoir l’idéal d’une citoyenneté mondiale. Par contre, à défaut de convaincre toutes les puissances et toutes les consciences de faire « du passé, table rase », on peut espérer (devant les risques d’éclatement de crises en tout genre), peut être plus vite qu’on ne le croit parfois, constituer une large alliance pour proposer une nouvelle régulation mondiale, légitime et efficace. Celle-ci devrait s’appuyer sur la Charte des Nations Unies, la Déclaration Universelle des droits de l’homme et les valeurs essentielles de paix, de solidarité internationale, de développement durable et de diversité culturelle, en s’appuyant sur tous les efforts sincères de coopération mondiale et régionale, menés depuis 60 ans. Pour cela, les institutions existantes ne doivent pas être niées dans leur principe, car elles ont vocation à créer les conditions d’une régulation concertée et anti-hégémonique des grands problèmes mondiaux. Mais, elles doivent être aujourd’hui critiquées, sans relâche et sans complaisance, pour leur absence ou leur insuffisance de légitimité et, par là-même d’efficacité, ce qui suppose, moins leur disparition que leur transformation.
Il faut donc que tous les mouvements citoyens à travers le monde sachent convaincre la conscience universelle, qu’entre régression et utopie, il est possible de définir une autre régulation mondiale, à la fois légitime et efficace, compte tenu de ce que l’efficacité ne pourra résulter que de sa nouvelle légitimité, fondée sur la promotion des droits humains et des libertés. Cette nouvelle régulation ne peut reposer que sur une stratégie de transformation des institutions existantes. Mais, en même temps, elle est toute autre chose qu’une simple addition de réformes ponctuelles, qui seraient l’affaire de technocrates et d’experts internationaux, et elle a besoin, pour réussir, de la participation du plus grand nombre des citoyens du monde, de leurs mouvements sociaux et culturels, de leurs organisations syndicales et de leurs élus légitimes, qu’ils soient nationaux ou locaux. Ce sont, eux tous, qui doivent s’emparer, en toute circonstance désormais, des principes essentiels d’une nouvelle régulation mondiale, légitime et efficace, et de toutes les conséquences qui en découlent.
Cette nouvelle régulation pourrait reposer sur 10 principes essentiels, dont découlent autant de conséquences concrètes :
1) Les institutions économiques, financières et commerciales doivent être subordonnées aux instances politiques légitimes.
Conséquences concrètes : L’intégration des institutions économiques mondiales (FMI, Banque Mondiale, OMC, BRI, OCDE), dans le système des Nations Unies, doit être effective. Ceci signifie le respect de leur Charte, de la Déclaration Universelle des Droits ; des procédures de décision conformes (cf. infra) ; la définition de leur rôle et leur contrôle par les instances légitimes (Assemblée Générale et Conseils de Sécurité : cf. infra).
2) Ces instances doivent assurer une répartition multilatérale équitable à tous les peuples du monde.
Conséquences concrètes : La création d’un Conseil de Sécurité économique, social, culturel et environnemental (2 ESC, en anglais). Il serait composé de 10 membres renouvelables tous les 10 ans (dont 2 pour l’Afrique, 1 pour l’Amérique du Nord, 1 pour l’Amérique latine, 3 pour l’Asie, 2 pour l’Europe, et 1 pour et l’Océanie), comprenant les pays (ou groupements de pays) les plus importants de chaque continent et de 15 autres membres, élus tous les 2 ans, par l’Assemblée Générale. Chaque membre représenterait un Etat ou un groupe d’Etats (tel que l’Union Européenne). Ce « 2 ESC » se substituerait aux différents clubs de pays riches du type G7, G8, G20 etc. Le PNUD, la CNUCED, la BRI et l’OCDE lui sont rattachées.
En cas de conflits entre les normes édictées par diverses agences spécialisées, le 2 ESC arbitre, après avis de l’assemblée économique, sociale, culturelle et environnementale (cf. infra).
Toutes ses décisions doivent être prises, suivant le principe de double majorité et à l’exclusion de tout droit de veto : elles ne sont validées que si elles sont adoptées par une majorité de ses membres, représentant la majorité des populations des pays membres, ce qui garantit un équilibre entre les pays les plus peuplés et les moins peuplés.
3) La société civile et les mouvements sociaux mondiaux doivent être associés de façon permanente à toutes les décisions des instances mondiales
Conséquences concrètes : La création d’une Assemblée économique, sociale, culturelle et environnementale, réunissant les représentants des organisations patronales, syndicales, culturelles (représentant les milieux artistiques et scientifiques) et environnementales, ainsi que les ONG humanitaires. Celles-ci devraient être obligatoirement consultées, avant toute décision de l’Assemblée Générale et des Conseils de Sécurité. Elle dispose d’un pouvoir d’initiative, pour demander à l’Assemble Générale et aux Conseils de Sécurité de délibérer sur toutes les questions qui leur semblent le justifier et des moyens d’études du PNUD, de la CNUCED et de l’OCDE.
4) La primauté de l’Assemblée Générale des Nations Unies
Conséquences concrètes : L’Assemblée Générale a seule pouvoir, pour édicter des normes et des recommandations, à son initiative, ou à celle de l’Assemblée économique, sociale et environnementale. Toutes ses décisions sont prises, suivant le principe de double majorité.
5) Régulation mondiale et séparation des pouvoirs
Conséquences pratiques : Les Conseils de Sécurité prennent toutes les décisions d’application, qui découlent des principes de la Charte et des résolutions de l’Assemblée Générale. De son côté, la Cour Pénale Internationale doit disposer d’une compétence universelle et obligatoire, englobant l’ensemble des tribunaux ad hoc, et d’une totale indépendance, à l’égard des autres instances mondiales, comme des Etats nationaux. Ses jugements sont assortis de sanctions, dont l’exécution relève, suivant les cas, de l’un et/ou l’autre des Conseils de Sécurité (opérations militaires et/ou sanctions économiques) ou d’une compétence universelle d’application des instances judiciaires de tous les pays membres.
6) Légitimité et cohérence de l’ensemble de la régulation mondiale
Conséquences pratiques : Le Conseil de Sécurité existant rapproche sa composition et son mode de décision de ceux du « 2 ESC », en vue de leur fusion ultérieure. Les pouvoirs de sanction appartiennent aux deux Conseils de Sécurité, dans leur domaine respectif de compétences.
7) Le monopole de l’utilisation légitime des forces armées appartient à l’ONU :
Conséquences pratiques : L’ensemble des forces armées, mises à la disposition d’organisations internationales ou mondiales (Otan, casques bleus, etc.) sont regroupées et placées sous la seule responsabilité du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
8) Le financement du développement durable est assuré par l’émission de Droits de Tirage Spéciaux (DTS) et de taxes globales.
Conséquences pratiques : Le Fonds Monétaire International, agence spécialisée de l’ONU, applique les normes édictées par l’Assemblée Générale, ainsi que les décisions du « 2 ESC », prises après délibération de l’Assemblée économique, sociale, culturelle et environnementale. En particulier, il offre, par une émission suffisante de DTS, le financement de l’ensemble des projets de développement durable, ainsi que l’annulation partielle ou totale de la dette des pays pauvres, en relation avec les banques régionales de développement, après un audit public et citoyen. Il peut mettre en place une fiscalité sur les mouvements internationaux de capitaux, en particulier sur les plus spéculatifs et les plus déstabilisateurs d’entre eux, ainsi que sur les activités polluantes. Il contribue à une évolution raisonnée des parités monétaires, par une contribution équilibrée des pays excédentaires et déficitaires.
9) Les échanges de marchandises (biens et services) sont régulés dans une perspective de développement durable de la planète et de justice pour tous les peuples.
Conséquences pratiques : L’organisation mondiale du commerce est assurée par une agence spécialisée de l’ONU, qui exerce des compétences déléguées, et met en place, en tant que de besoin, des politiques régulatrices, afin que l’élargissement des échanges assure le développement des biens publics mondiaux, la souveraineté alimentaire et sanitaire de tous les pays membres, ainsi que leurs activités émergentes, de même que l’ensemble des missions assurées par les autres agences spécialisées : droit du travail, préservation de l’environnement, etc..
10) Stratégie pour un développement planétaire durable
Conséquences pratiques : La préparation des délibérations environnementales, de portée mondiale, est faite conjointement par les deux assemblées générales. Après délibération de l’assemblée économique, sociale, culturelle et environnementale, les normes sont adoptées par l’Assemblée Générale. Le « 2 ESC » est chargé de leur mise en œuvre, avec l’ensemble des agences spécialisées (FAO, OMS, BIT, UNICED, UNESCO, etc). Il établit une fiscalité écologique sur les émissions de CO2 et les déchets nucléaires : le produit de celle-ci sert pour une part à indemniser les travailleurs pénalisés par cette fiscalité et pour partie à mettre en place des activités de substitution.
Pour une gouvernance démocratique de la zone euro
Sans euro, la situation des pays membres, dont la France serait évidemment pire. On plaint la Grèce, mais la situation de celle-ci dans l’Euro a été à ce jour moins douloureuse que celle de l’Islande, malgré d’énormes erreurs de gestion : dépenses militaires permettant d’acheter du matériel allemand et français, exonérations fiscales de droit de l’Eglise orthodoxe, comparable à celui du clergé français à la veille de la Révolution française, exonération de fait des armateurs milliardaires, et pour masquer tout cela toute une série de petites complaisances à l’égard du reste de la population qu’on monte aujourd’hui en exergue pour cacher l’essentiel… Mais il n’en reste pas moins que la zone euro, avant même que la crise mondiale n’éclate, affichait des performances économiques et sociales particulièrement médiocres, qu’on les compare au passé ou aux autres zones monétaires durant la même période. Depuis 2007, c’est bien pire : elle fait la démonstration de son incapacité à survivre sous sa forme actuelle.
En fait, on savait dès sa création par le Traité de Maastricht (1992), qu’elle était manifestement très incomplète, au point qu’il fut alors prévu un Traité ultérieur pour la compléter : or, aucun des 3 Traités européens adoptés depuis lors ne sont venus mettre fin à ces vices originels , alors que l’on pratiquait un élargissement aveugle (le « big bang », extrapolant immédiatement à 27 pays, ce qui avait été si laborieusement mis en place pour 2 fois moins). Mais derrière le postulat absurde de l’homogénéité de l’Union européenne, s’est mise en place dans les faits une Europe à géométrie variable : la zone Euro à 17 ; l’espace de circulation des personnes, dits de Schengen ; l’Europe de la défense, principalement franco-britannique, avec le retour de la France dans l’OTAN ; l’Europe des droits, qui garde heureusement le périmètre le plus large, celui du Conseil de l’Europe… Ce n’est pas encore tout à fait l’Europe « à la carte » de Mme Thatcher, celle des seuls égoïsmes, où on ne prend de l’Europe que ce qui arrange, récusant toute solidarité, mais on y tend progressivement, si on ne remet pas sérieusement de l’ordre, autour de deux ou trois « menus cohérents », le menu gastronomique de la zone Euro, le menu ordinaire des autres membres de l’Union, le menu diététique des autres pays européens qui ne veulent ou ne peuvent pas entrer dans l’Union, mais qu’y peuvent y être étroitement associée : ceci vaut bien entendu, pour un nombre croissant de pays méditerranéens, à commencer par la Turquie et les nouvelles démocraties arabes .
Les vices du système monétaire européen sont aujourd’hui reconnus par (presque ) tous : son mode de gouvernance. Celui-ci reposait, dès l’origine, sur une conception minimaliste, dû au fait que l’Allemagne n’avait consenti à sa création que de mauvais gré, l’ayant récusée jusque là, en échange de la reconnaissance par la France de Fr. Mitterrand et, à sa suite, le reste de la communauté européenne, de la réunification allemande. En fait, les élites allemandes auraient voulu se contenter d’une zone mark élargie à la France, laissant à la porte les pays du sud, que l’on traitait déjà injurieusement de pays « du club Med », en attendant de faire pire en les traitant aujoud’hui de cochons (PIGS, acronyme de Portugal, Italy, Greece and Spain). Leur volonté et leur habileté à présenter leurs comptes publics (déjà…), adossées à la volonté française de ne pas renoncer à son rôle historique de pont entre le nord et le sud du continent fit alors échouer cette tentative. Mais pour le reste les Allemands, qui avaient volé à notre secours lors de la crise des changes de 1992 eurent satisfaction sur tout : il en est résulté une mauvaise copie du Deutsch Mark, dépourvue de tous les ingrédients qui avaient fait la réussite de celui-ci pendant un demi-siècle (1948 à 1998) : absence de toute union financière, absence de toute coordination entre politiques monétaire et budgétaire, ignorance de la place des politiques sociales et fiscales dans toute gouvernance contemporaine, enfin absence de toute légitimité démocratique au niveau européen pour décider ou du moins coordonner ces différentes politiques, nécessairement complémentaires : ainsi, dès le lendemain du Traité de Maastricht, on pouvait dénoncer dans de multiples colloques ou conférences européens, les déficits jumeaux (twin deficits) en matière social et démocratique de la construction européenne !
Quinze ans plus tard, la catastrophe prévisible se produit, que seule l’absence de secousses trop brutales avait conjuré jusqu’ici ? Car, on peut vouloir plus d’Europe, encore faut-il que celle-ci cesse de se payer d’un recul croissant de la démocratie, comme cela a été bien trop souvent le cas, à chacune des étapes précédentes de la dite construction européenne. C’est pourquoi, les projets de modification institutionnelle improvisés ces derniers jours par l’Allemagne avec le soutien étourdi, ou hypocrite du président français sont, en premier lieu prématurés; en deuxième lieu, économiquement absurdes ; en troisième lieu et pire, viciés dans leurs modalités par le manque de démocratie qu’ils portent en eux : prématurés, parce que l’on ne convoque pas l’architecte quand la maison brûle, en paralysant le travail des pompiers (la banque centrale) en attendant de lire, puis d’adopter les nouveaux plans, ce qui demandera nécessairement d’une à deux années, suivant l’ambition du projet. Et finalement viciés par le fait que l’on confierait à une instance non élue, commission et/ou conseil, les compétences budgétaires et fiscales qui sont celles du Parlement dans tous les régimes démocratiques depuis l’Ancien Régime : c’est faute de pouvoir augmenter par lui-même les impôts que Louis XVI dut convoquer les Etats Généraux !
Le Fair Trade, où la lutte contre les « quatre dumpings » :
Un des éléments les plus préoccupants de l’actuelle crise mondiale est la tentative persistante de l’ensemble des autorités officielles de maintenir le débat sur la mondialisation des échanges à un niveau purement idéologique, affirmant un libre échangisme, qu’ils pratiquent d’ailleurs inégalement et de façon sélective (suivant les secteurs et les pays concernés), et rejetant comme protectionniste toute tentative de redéfinition des règles du commerce international. Cette posture a des traductions concrètes particulièrement négatives comme la tentative pathétique d’achèvement du « cycle de Doha » ou, plus largement le refus de toute remise en cause de l’OMC, et son absence de soumission à la charte des Nations Unies. Cette attitude risque même, les crises sociales se développant dans un nombre grandissant de pays, de conduire à des replis unilatéraux, lourds de régressions économiques, mais aussi politiques, géopolitiques et culturelles.
Il est donc grand temps de prendre toute la mesure du mot d’ordre « un autre monde est nécessaire », dans lequel les échanges de marchandises, biens et services, comme ceux des capitaux, relèveront non d’une pseudo-liberté, dont tout le monde sait qu’elle est pour une bonne part celle des tricheurs et peut constater tous les méfaits, mais seront fondés sur des rapports loyaux entre l’ensemble des protagonistes : non pas du free trade, mais du fair trade.
Ce dernier n’est pas un vague slogan de compromis entre les protagonistes historiques des deux thèses, qui s’opposent depuis plus de deux siècles. Le débat était déjà récurrent au XVIIIème siècle, à propos du commerce des grains. Sur le plan théorique, après les essais maladroits d’Adam Smith (la théorie des avantages absolus dans la Richesse des Nations, 1776) et de Fichte (la tentation autarcique dans « l’Etat commercial isolé », 1800), il a pris sa pleine ampleur théorique,avec David Ricardo, et sa théorie des avantages comparatifs, auquel s’est opposé Frédéric List, et sa recommandation d’un « protectionnisme éducateur ». La nationalité même des auteurs, respectivement britannique , appartenant à la puissance alors hégémonique, et allemand, membre de la nation qui tente d’émerger, suffirait à convaincre que toute théorie de l’échange international est essentiellement géopolitique. C’est pourquoi, tous ceux qui veulent prévenir les conflits entre nations développées et nations émergentes, sur une base équitable et donc finalement acceptable par tous, ont besoin d’une base normative qui dépasse l’antagonisme entre le libre échange, qui profite aux premiers, et le protectionnisme, qui pourrait éventuellement bénéficier aux seconds , lequel antagonisme se termine toujours par des épreuves de force négatives pour l’humanité (de la guerre mondiale à l’aggravation de la dépression dans l’entre deux guerres).
L’approche en termes de fair trade remplit justement ces conditions, en ce qu’il résulte de toutes les expériences concrètes vécues durant ces dernières décennies, à travers le monde, par d’innombrables acteurs, trop souvent victimes de pratiques déloyales. Le point de départ d’une telle approche est que l’échange, comme la langue d’Esope, peut être la meilleure ou pire des choses. Après tout de quoi parle t’on ? D’échanger des baisers ou des violences ? De la circulation de médicaments ou de drogues ? D’un commerce équitable ou évidemment inégal ? Librement consenti ou résultant d’une diplomatie de la canonnière ? Partisans ou adversaires du développement des échanges devraient donc commencer par abandonner toute attitude fétichiste : à l’intérieur de chaque société, tous les échanges ne sont pas (heureusement) traités de la même façon : il en est ainsi de la vente de voitures ne respectant pas certaines normes de sécurité ; il devrait en être demain de même, de celles qui peuvent atteindre des vitesses généralement interdites. Ce relatif pragmatisme dans l’ordre intérieur des Etats est évidemment plus complexe à mette en œuvre dans l’ordre international, où doivent cohabiter des normes issues de convictions et de prises de conscience différentes. Il semble pourtant que puisse se dégager un consensus autour de deux principes généraux :
– pour une majorité de biens et de services, les échanges peuvent être favorables aux deux parties, non seulement, à ceux qui échangent directement, mais également à l’ensemble de la collectivité à laquelle ils appartiennent ;
– ce gain collectif n’est cependant partagé que si l’échange s’effectue dans des conditions « loyales », c’est-à-dire que l’un des co-échangistes ne bénéficie pas d’avantages qui ne doivent rien à la qualité de sa production, mais à des conditions monétaires, sociales, fiscales, environnementales, etc, qui ont été manipulées pour lui permettre d’offrir un meilleur rapport qualité prix que ses concurrents étrangers.
Pour ne s’en tenir ici qu’à l’essentiel, le fil conducteur d’un authentique fair trade repose sur des échanges sans dumping dans quatre domaines majeurs : les changes, la fiscalité, le social et l’écologie :
– la forme la plus ample et la plus brutale de dumping relève des variations de change : pendant que l’on discute de chiffres derrière la virgule dans le domaine de la fiscalité ou des salaires, le cours des monnaies peut varier de 10% en une semaine, voire du simple au double d’un moment à l’autre par une décision unilatérale, sans même parler des cas de banqueroute ! A cet égard, il n’est pas utile de s’encombrer d’un débat de doctrine monétaire sur le meilleur système possible : à l’expérience, entre un système de change fixe, mais qui admet non seulement des marges de fluctuations importantes (par exemple plus ou moins 15%, autour de la parité de référence, comme c’était le cas dans les années 1992-98, à la fin de l’ancien système monétaire européen), et qui de plus peut être ajusté, comme le faisait celui de Bretton Woods, d’une part, et, d’autre part, un système de change flexible, où la coordination des principales banques centrales, et éventuellement d’un FMI rénové et relégitimé, se chargerait de contrer la spéculation à court terme par des actions symétriques des pays créditeurs et débiteurs, il n’y a guère de différences pratiques . Dans les deux cas, les parités varient en fonction des données fondamentales des différentes zones (en particulier, les différentiels de productivité, comme pour tout prix relatif). A partir du moment, où le principal créancier et le principal débiteur trouveraient un modus vivendi sur le moyen terme, la question essentielle de la création nécessaire de liquidités internationales pour financer le développement durable de toutes les zones mondiales de la planète qui ne se trouvent pas dans l’une des 4 grandes régions dont la monnaie est encore crédible (dollar, euro, yen, yuan), se règlerait simplement : il suffirait d’émettre, à due nécessité, des Droits de Tirage Spéciaux (DTS). L’utilité de ces derniers, depuis longtemps en sommeil, a enfin été réveillée, depuis le déclenchement de la crise, par l’urgence de faire face aux premiers risques pays et il n’est pas douteux que le besoin s’en fera de plus en plus sentir dans les mois et les années à venir. Cependant leur usage grandissant soulève encore des questions fondamentales d’objectif… et de rapports de force.
La question n’est pas de remplacer le dollar par une seule autre monnaie (DTS ou autre), hypothèse absurde par laquelle on a cherché à retarder la réponse à la question posée, mais d‘organiser, dans un monde multipolaire, la nécessaire complémentarité entre une monnaie mondiale et une multiplicité de monnaies régionales, dont les parités seront à l’abri des spéculations de marché et des manipulations d’Etats.
Bien entendu, leur pondération ne manquera pas d’évoluer graduellement. La seule question essentielle est celle du pouvoir de décision au FMI (qui a fait l’objet d’une révision, pour l’instant tout à fait insuffisante, à la fin 2010) et de l’abandon du monopole de veto américain, avec 17% des droits de vote, alors que les décisions se prennent à la majorité de 85% ! A nouveau, se trouve soulignée l’importance cruciale des relations bilatérales entre la Chine et les Etats-Unis : la première n’a aucune raison présente (si elle devait subir une nouvelle crise financière, il pourrait en aller autrement) d’accepter de céder aux demandes des seconds, si l’administration et le Congrès américains ne sont pas capables de s’inscrire dans une transition négociée de l’unilatéralisme au multilatéralisme, qui leur reconnaîtrait toute leur place actuelle et future. On sait que la Russie et le Brésil sont sur une position semblable, quand ils conditionnent logiquement leur aide aux pays européens en difficulté au truchement du FMI.
Enfin, face aux autres sortes de dumping (cf infra), l’ajustement monétaire est évidemment le mode le plus indolore, propre à garantir l’ensemble du fair trade.
– Le dumping fiscal doit être combattu de la façon la plus inflexible qui soit : pas de commerce avec les trafiquants du moins disant fiscal et les poursuites pénales aussi bien que civiles doivent également toucher les donneurs d’ordre que les sous-traitants, en vertu du principe général de droit qui veut que le complice soit puni de la même peine que l’auteur principal d’un délit. A cet égard, la distinction entre évasion et fraude fiscale doit être abolie, pour les marchandises comme pour les capitaux ; la traçabilité de toutes les transactions doit être assurée, ce qui est par ailleurs indispensable pour des raisons sanitaires et écologiques : puisque la transparence est heureusement à la mode, incluons son principe dans les règles fondamentales d’une nouvelle organisation mondiale du commerce, placée sous l’égide des Nations Unies et soumise à sa charte cf. supra).
– Le dumping social constitue sans doute le primum movens de la grande crise en cours : parce que les comportements d’affectation de leurs revenus sont d’une nature différente entre les bénéficiaires d’un revenu du capital et ceux qui vivent essentiellement de leur travail et jouent, par conséquent, un rôle essentiel dans l’évolution respective des dépenses d’investissement et de consommation. Parce que la masse des salaires n’avait cessé de baisser par rapport à la part des profits, les dépenses de consommation des ménages avaient de plus en de plus mal à absorber tous les flux de marchandises générées par une masse trop gigantesque d’investissement, même en partie gaspillés : tous les dépenses « bling bling » des plus riches finissaient par ne plus suffire ! La réponse à cette contrainte est connue depuis au moins un demi siècle : c’est celle de la règle, suivant laquelle les salaires doivent progresser au même rythme que l’augmentation des gains de productivité. Bien entendu, une telle règle ne s’impose pas spontanément : elle résulte nécessairement d’une négociation explicite ou implicite, centralisée ou décentralisée, avec ou sans l’Etat, voire même la société civile (les procédures de quadripartisme en Irlande) : à cet égard, l’idée de transposer les règles d’un pays à l’autre est illusoire et même franchement contre-productive : pour ne donner qu’un exemple, face à la terrible réalité du travail des enfants, commençons plutôt par obtenir partout la mise en oeuvre de la scolarité à mi-temps, plutôt que d’interdire toute importation en provenance des pays qui le pratiquent, au motif, parfois hypocrite, d’imposer nos propres normes : derrière le fair trade, veillons à ce que les pays qui se veulent les plus « blancs » ne cachent pas trop de noirs dessins. Or, dans la plupart des pays, le chantage à la mondialisation du patronat et des gouvernements qui lui sont favorables, ont conduit à l’adoption d’un comportement de « passagers clandestins ». C’est comme cela que nos sociétés ne sont pas seulement devenues de plus en plus injustes, mais en même temps de plus en plus inefficaces et/ou fragilisées par l’endettement, ce qui à la longue revenait au même.
C’est pourquoi les confédérations internationales de travailleurs (CIS, CES) et le BIT doivent obtenir la mise en place de règles de négociations internationales, qui fixeront la façon dont chaque pays fera évoluer la masse salariale globale suivant cette règle d’or, en fonction de sa situation conjoncturelle initiale, puis en fonction de ses propres préférences collectives (salaire et/ou temps de travail, salaire direct et/ou indirects, etc.) et, bien entendu, en suivant ses propres procédures de délibération.
– Le dumping écologique est par trop criant, sur la plus grande partie de la planète, pour nécessiter une longue explication. De plus, la question dépasse largement les enjeux du commerce loyal : même répartis équitablement, les droits à polluer s’additionnent, alors que tout l’enjeu est de les réduire, voire de les supprimer. C’est pourquoi, l’échec de la conférence de Copenhague a au moins démontré que les volets commerciaux et écologiques doivent être simultanément traités dans les grandes négociations internationales, ce qui fournit une justification supplémentaire au passage sous l’égide des Nations unies de l’OMC et de l’ensemble des autres organisations économiques et financières, en même temps que serait mis en place un Office Mondial de l’Environnement, doté du même statut.
Ajoutons enfin que cette approche en termes de fair trade pourrait avoir le mérite de rapprocher le bloc des « gauches de gauche », qui semble se fissurer entre tenants de la « démondialisation » et altermondialistes.
Une mise en œuvre rapide
La prolongation et donc l’approfondissement de la dépression créent une urgence inédite. Sans faire aucune concession aux fausses idées en vogue, il est du devoir de tous les citoyens responsables de proposer des solutions immédiatement applicables, ne serait ce que parce qu’elle bénéficient déjà sur le plan militant ou, a fortiori sur le plan institutionnel d’une base importante de consensus :
– sur le plan militant, nous disposons de deux textes, qui, à la lumière de ce qui précède, se complètent largement : d’une part, il s’agit de « la Déclaration Syndicale de Londres » émanant de la Confédération internationale des Syndicats (CIS), publiée à l’occasion d’un précédent G20 ; d’autre part, il s’agit de la déclaration de Belem du Forum Social Mondial : « Pour un nouveau modèle économique et social. Mettons la finance à sa place ». On ne saurait trop inviter les uns et les autres à se rapprocher pour rédiger une plate-forme commune, sur la base de laquelle pourrait se réunir toutes les démarches militantes, syndicales et « mouvementistes » : il s’agit de démontrer à l’opinion mondiale et, par conséquent, aux principaux décideurs mondiaux qu’ils sont devant une alternative claire : ou bien, continuer à ruser avec l’histoire, quitte à sacrifier de façon plus symbolique que réelle quelques uns de leurs anciens fétiches, mais au risque de provoquer les pires errements incontrôlables dans des délais qui pourraient être très courts ; ou, bien assumer dans toutes ses dimensions une mondialisation d’un type nouveau, afin de réellement « tourner la page des années dominées par la cupidité», comme ils prétendent vouloir le faire. De la qualité de cette convergence entre forces syndicales et mouvementistes, dépend à l’évidence la seconde convergence qui, des textes et des mobilisations, devrait se traduire dans la réalité des décisions.
– Sur le plan institutionnel, il existe en effet également deux autres textes de référence qui, avec les précédents, peuvent jouer un rôle crucial : d’abord celui de l’Organisation Internationale du Travail, avec sa proposition phare d’un « plan mondial pour l’emploi » ; ensuite, celui de la commission Stiglitz, commandé par le président de l’Assemblée Générale des Nations Unies, sur la réforme du système monétaire et financier international. Avec les textes précédents et les mobilisations qu’ils peuvent susciter, il y a matière à placer d’abord l’ensemble des états du monde réunis formellement en Assemblée Générale, devant la nécessité de trancher entre les voies ouvertes.
En guise de conclusion très provisoire :
Tout ce qui précède, et bien d’autres analyses, mesures d’urgence et perspectives, pourront faire l’objet de débats, soit oraux, soit ultérieurement par écrit.
Car la crise, comme la météo, et pour les mêmes raisons (trop de non-linéarités s’imposent), a beau être imprédictible, une seule chose est certaine, c’est qu’elle va se poursuivre encore… un certain temps. Dans l’immédiat, rien n’est réglé, ni dans le monde, ni particulièrement en Europe : ni en Grèce (avec l’entrée de l’extrême droite dans le nouveau gouvernement), ni en Italie, où les 19 partis officiels se préoccupent surtout de préparer les prochaines élections ; pendant ce temps, la Belgique, toujours sans gouvernement depuis si longtemps, commence logiquement à intéresser les spéculateurs, sans parler de la France, accrochée à son triple A d’une façon telle qu’il nous faut, comparativement aux Allemands, empruntés de plus en plus cher ! Quant à la Commission européenne, plutôt optimiste par vocation, elle évoque désormais clairement une prochaine récession, qui jetterait à bas tous les bricolages et faux-semblants récents.
Car décidément, cette crise est globale et systémique, remettant en cause, au niveau planétaire, toutes les dimensions de la vie publique, tout un système datant pour le moins de 2 à 3 décennies, mais parfois de 2 ou 3 siècles. C’est donc tout un autre système qu’il nous faut mettre en place, pour la surmonter, de façon coopérative et pacifique, humaine en dernier mot.
Domi Taddei
Ancien président d’Université